Je ne suis pas sûre de pouvoir me retrouver dans tout ce noir. Même si on y croise le blanc des étoiles : ça reste purement, profondément et irrévocablement black.
J'ai rien contre les blacks.
Mais celui que tu ne peux pas toucher, ça... Oui.

Il me faut constamment des points de lumières pour avancer. Toute seule dans le couloir, je peux marcher tant que les néons vibrent et éparpillent leurs rais colorés. Je peux faire ça.
Le moment où tu éteins est le moment que je redoute le plus.
J'ai besoin de sentir la clarté, même si je suis quelqu'un de sale. De typique. De borné. Il me faut un sentiment de propreté.
C'est très bizarre, parce que ma maison ne correspond pas à cette définition.

Je vends des fleurs. En fait, je préfère dire que je les partage : les couleurs ça n'a pas de prix. Quand des gamins viennent me voir avec l'océan au bord des yeux, je ressens le besoin d'écraser ma cigarette dans le pot pour leur dire Approche-toi du bout du doigt.
Je n'ai pas le sourire enjôleur.
Ma peau a la dureté des pierres salées par la mer.
Mon odeur n'a rien à voir avec celle de mes fleurs.
Je crois que je fais peur.

"Dis Nayna...
- Gamin.
On fait quoi quand on veut sortir avec une fille ? Une jolie fille.
- Tu lui offres des fleurs.
Et lesquelles je devrais lui donner ? Tu en as tellement. Beaucoup trop."

C'est vrai. J'en ai trop. Des fleurs.
Je les appelle mes bijoux, mes filles, mes nymphes. Elles sont uniques.
Précieuses.
Solitaires et revêches, parfois.
Leur apparence est belle, attirante. Et leur parfum aussi.
Mais je ne coupe jamais leurs épines.

"... Je saigne.
- Tu vois, gamin.
Hein ?
- Elles font pareil, dans la vraie vie.
Les fleurs ?
- Les filles.
Pareil ?
- Oui. Elles font croire que tu peux les attraper par la tige, comme ça. Que tu es le bienvenu. Mais dès que tu t’accapare trop leur présence, elles te mordent le bout des doigts avec leurs crocs."

Son regard fut triste, et il partit. J'ai appris quelques jours plus tard que sa jolie fille s'était envolée pour d'autres contrées, et qu'il n'avait pas eu le temps de lui offrir quoi que ce soit. Même pas des fleurs.

J'étais vilaine. Je le suis toujours.
Au fond de moi les ronces, c'est ce que je produis le mieux.

Ce soir, je rentrerai à la maison, l'air de rien.
Je n'aurai rien appris, rien gagné. Pas le sourire gamin.
Quelques fois je pense à lui.
Entre temps je laisse mon corps sale couler le long du canapé,
attendant l'épée terrible qui viendra me couper les crocs.